À l’origine du mutualisme, l’énergie d’un visionnaire
Le Crédit Mutuel voit le jour en Rhénanie sous l’impulsion de Frédéric-Guillaume Raiffeisen. Né le 30 mars 1818 dans le village de Hamm, ce fils d’agriculteur entreprend une carrière militaire à laquelle il doit renoncer du fait de troubles de la vue.
En 1845, après avoir intégré l’administration locale, il devient bourgmestre de Weyerbusch. Profondément croyant, il se fixe pour objectif de venir en aide à ses administrés, principalement des agriculteurs. Ne pouvant compter sur un système de financement qui leur permettrait d’améliorer leur outil de travail ou de faire face aux aléas, comme la crise agricole de 1846-1847 due à des conditions climatiques désastreuses, ceux-ci ont recours à des usuriers qui ne font, le plus souvent, qu’accroître leur misère.
Le 1er décembre 1849, avec l’aide de 60 personnes, Raiffeisen crée une société de secours aux agriculteurs démunis du village de Flammersfeld (où il est en responsabilité de 1848 à 1852). Cette société a pour objectif d’offrir aux agriculteurs la possibilité d’acquérir du bétail dans des conditions compatibles avec leurs moyens financiers. Elle accorde également des prêts directs en espèces.
En 1852, Raiffeisen est muté dans la bourgade plus importante de Heddesdorf, où il fonde une nouvelle société de bienfaisance en février 1854.
Toutefois, Raiffeisen souhaite aller plus loin. Si ces sociétés de bienfaisance permettent de lutter contre la misère rurale en pratiquant des taux d’intérêt plus bas, elles ne font pas, pour autant, émerger une communauté d’intérêts entre prêteurs et emprunteurs. En cela, elles ne répondent qu’imparfaitement aux idéaux de Raiffeisen, qui entend renforcer la cohésion des communautés locales et offrir, à tous, la possibilité d’y participer. Aussi crée-t-il, le 24 juillet 1864, sa première véritable caisse de crédit : l’Association de la Caisse de prêts de Heddesdorf. Celle-ci sera suivie rapidement d’autres créations.
Ces caisses présentent la particularité d’être fondées, à la fois, sur la responsabilité solidaire de tous les sociétaires et sur un pouvoir strictement identique octroyé à chacun d’entre eux. Qu’il soit prêteur ou emprunteur, détenteur d’un patrimoine ou paysan démuni, chaque sociétaire dispose d’une voix et peut se faire élire administrateur de la caisse. Tous les sociétaires se trouvent ainsi placés sur un strict pied d’égalité et de responsabilité.
Les principes de base sont désormais posés, en particulier l’octroi de prêts aux seuls sociétaires, une circonscription restreinte, la constitution d’un fonds de réserve inaliénable, l’interdiction de distribuer des dividendes, ou encore le caractère honorifique et gratuit des fonctions d’administrateurs.
Comme le souligne Jean-Marie Says dans sa biographie consacrée à Raiffeisen, « l’année 1864 est une étape importante dans l’histoire du système Raiffeisen. Elle marque le passage de la société de bienfaisance à la quasi-coopérative. »
Face à la détresse du monde rural, Raiffeisen ne cherche pas de solutions d’ordre théorique ; il prend surtout en compte les réalités du terrain. Convaincu des vertus de l’entraide par la mutualité et la coopération, il comprend que ce qu’un homme ne peut réaliser seul, plusieurs y parviendront à condition de s’unir autour de la devise « tous pour un, un pour tous ».
C’est ce que développe André Gueslin dans son ouvrage consacré aux origines du Crédit Mutuel : « L’esprit du mutualisme de type Raiffeisen, c’est d’abord l’adaptation aux réalités socio-économiques [...] Il est, avant tout, une philosophie de l’action mutualiste, une manière d’envisager les problèmes. [...] Dans son fonctionnement propre, le pragmatisme est très présent. [...] Plus fort que la doctrine, si tant est qu’elle existe réellement, c’est la volonté d’offrir toujours les meilleurs services qui préside à ses destinées. »
Le succès de cette approche novatrice amorce le développement des caisses de Crédit Mutuel. Raiffeisen entreprend des voyages afin d’encourager la création de nouvelles caisses. Dès 1871, celles-ci sont au nombre de 75 en Allemagne et en Autriche, quasi-exclusivement dans les campagnes.